Délicieux Amis tribaux, il me semble qu’aujourd’hui nous devons protéger notre île verdoyante aux riches ressources naturelles, joyau de notre existence, grâce à nos divinités Moaïs. Coiffés de leurs plus beaux Pukao, ces colossales statues de pierres béniront de leur regard protecteur le cœur de notre civilisation, notre berceau, l’île de Pâques

Matagot propose cette année une nouvelle édition de Rapa Nui, un jeu sorti en 2011 initialement, principalement orienté sur une mécanique à base de cartes.

Cette édition moderne du chat coffré le transforme en un jeu de placement d’ouvriers assez familial mais demandeur, rehaussé par un matériel d’une belle qualité. Je remercie l’éditeur de m’avoir envoyé un exemplaire à découvrir pour vous partager mon ressenti du jeu.

Mais avant de juger un jeu à sa boîte, rentrons plus en détail dans la revisite d’une de mes mécaniques favorites !

La Mécanique :

Dans Rapa Nui, 2 à 4 joueurs rivalisent afin de sculpter et dresser sur une île des statues appelées « Moaï », si célèbres par leurs imposante taille et leur allure singulière. Ces dernières seront placées sur des lieux sacrés nommés « Ahu », où vous gagnez des bonus à usage uniques, puis il ne vous reste plus qu’à les coiffer de leur très reconnaissable « Pukao », une sorte de chapeau cérémoniel rougeâtre réalisé en tuf volcanique, afin de déposer votre offrande et gagner de précieux points de victoire.

Les colosses de pierre « Moaïs » attendent d’être sculptés et dressés sur les Ahus sacrés de l’île

Le jeu vous permet d’orienter votre stratégie via 3 axes : disposant de 4 ouvriers et d’un sorcier, vous les placez chacun à tour de rôle sur le grand plateau représentant l’île de Pâques soit pour servir de transporteur de statues / pukao, soit comme sculpteur dans la carrière de l’île. Le sorcier quant à lui définit l’ordre du tour lors de la phase suivant le placement des ouvriers. Des bonus spécifiques vous octroient 1 chef et 1 ouvrier de plus afin d’augmenter votre champ d’action de transport ou de sculpture.

l’ordre du tour est défini par le placement de votre sorcier

Sculpter un Moaï demande de 1 à 3 ouvriers selon la taille que vous souhaitez obtenir. Cependant le nombre de places pour les réaliser diminue plus vous désirez construire un grand Moaï, aussi ne perdez pas la vôtre lors de la première phase de placement d’ouvriers.

Vos ouvriers peuvent transporter ou sculpter des Moaïs. Attention à bien les acheminer vers un Ahu

Sachant pertinemment que la taille n’est pas la seule donnée qui compte, elle influence directement le nombre de récompense que vous gagnez lorsque votre statue est fièrement érigée sur un Ahu, vous octroyant par la même occasion un bonus unique pour renforcer votre stratégie le moment venu.

Pour déplacer ces imposants monuments rocheux, vous faites appel à des transporteurs que les joueurs peuvent disséminer sur l’île afin d’acheminer les géants de pierre. Lorsque vous faites appel à l’ouvrier d’un adversaire, celui-ci gagne une ressource de la case sur laquelle il se trouve en récompense. S’il s’agissait d’un de vos ouvriers, hélas pas de gain à prévoir, à moins qu’un autre joueur ne fasse appel à lui.

L’acheminement terminé, seul un de vos ouvriers peut dresser un Moaï pour vous

Lorsque des Statues sont enfin fièrement dressées sur les falaises de l’île, il devient temps de les coiffer de leur Pukao afin de leur faire une offrande. Ces étranges chapeaux sont gratuits à fabriquer mais ils demandent néanmoins la même chaîne de transport que les Moaïs sur lesquels ils iront se déposer.

Il en va de même pour les Pukaos, sorte de couvres-chef rituels. Ceux-ci vous permettent de faire une offrande afin de remporter des points de victoire

Lorsque que vous en acheminez un sur la tête destinataire vous est alors offerte la possibilité de réaliser une offrande. En dépensant 4 ressources, glanées sur l’île par vos transporteurs ou en dressant des Moaïs, vous obtenez une offrande du type associé. Qu’il s’agisse de roseau, d’œufs, de bois ou de perles, vous gagnez quelque chose. Cependant les offrandes du premier type rapportent moins que celles des suivants. Notez également que plus vous réalisez une offrande d’un type, moins les suivantes de cette catégorie rapportent de points.

Les offrandes rapportent plus ou moins de points selon la ressource utilisée

Heureusement des capacités spéciales permanentes sont disponibles à chaque joueur moyennant quelques dépenses de ressources. Elles ont de puissants effets comme le fait de vous rajouter un ouvrier ou d’augmenter la qualité de ressources ou d’offrandes perçues.

Voilà l’essence de Rapa Nui nouvelle mouture. L’ensemble des rouages qui l’anime ne présente pas une grande complexité mais offre un degré familial de profondeur stratégique. Il faut savoir conserver à l’esprit son plan pour le tour en court et surtout ne jamais se retrouver en défaut dans l’un des axes (production, acheminement, offrande) de votre objectif. Il est très facile de tout investir dans la réalisation d’un grand Moaï à 3 ouvriers sans pour autant avoir fait attention qu’aucun adversaire ne vous a créé de chemin avec leurs transporteurs pour l’acheminer vers un Ahu. Il est également possible de positionner nombre de vos ouvriers pour le transport lors d’un tour où pas / peu de Moaïs sont fabriqués, ce qui ne vous permet pas de gagner de ressources. Placer un Pukao alors que vous n’avez plus les ressources nécessaires pour faire une offrande mettra également un sacré coup de frein à votre progression vers la victoire.

Néanmoins, malgré le besoin d’une attention permanente à l’évolution continue du plateau, je trouve que le jeu manque de complexité et de profondeur. Il aurait pu, selon moi, proposer d’autres pistes de manœuvre, comme le fait d’avoir besoin de ressources pour réaliser les Pukaos qui eux ne coûtent rien, ou pourquoi pas un autre plateau où les ouvriers se seraient affrontés pour la domination des ressources ou de la fabrication des Moaïs sur une carrière par exemple.

En fin de compte, l’interaction entre les joueurs est belle et bien présente dans l’impact des décisions de placement d’ouvriers de chacun, influençant le jeu des uns et des autres. Le fait de construire et d’ériger une statue uniquement pour obtenir un bonus et des ressources, sans conserver une possession sur cet édifice, fait que n’importe qui peut ensuite le coiffer et y faire des offrandes. Ce manque d’appartenance de nos productions créé un détachement quant à l’implication des joueurs dans la partie. Je ne construis pas ma statue, je construis une statue, point. J’ai pour ma part toujours eu du mal avec les jeux à ressources partagées non coopératifs.

Cependant le jeu, pour une gamme familiale plus avertie, propose déjà beaucoup à gérer pour découvrir avec une certaine richesse la complexité d’un jeu d’ouvriers, de ses nombreux fils à prendre en compte pour tisser votre toile jusqu’à la victoire.

Le Matériel et les Illustrations :

Comme à son habitude, l’éditeur propose un jeu dans une version édulcorée, forte d’un matériel lui rendant tout à fait grâce !

Les statues et leurs chapeaux sont très immersifs et bien réalisés

Les Moaïs sont très représentatifs des véritables statues de l’île de Pâques, dans un matériau leur donnant l’apparence de la roche. Bien qu’il en existe de 3 tailles différentes, il n’est pas forcément aisé de les différencier lors de l’installation du jeu, aussi je vous recommande de les trier rapidement par taille. Les Pukao, quant à eux, sont également de taille et forme distincte, mais heureusement ils sont bien adaptés aux dimensions des têtes des Moaïs ! Là encore, triez-les avec les statues adéquates (et non, le cône n’est pas le chapeau du plus petit Moaï, mais bien la Chapka plate).

Simples et efficaces, tout s’emboîte bien. Des chiffres pour quantifier les ressources ne seraient pas du luxe

Les plateaux joueurs sont simples à utiliser, si ce n’est le fait qu’il faut retirer un cube marqueur de ressource de ce dernier lorsqu’on en possède plus, ce que je trouve peu agréable, rajoutant des manipulations superflues. J’aurai préféré un marqueur 0 à l’extrémité gauche du plateau joueur. Les pouvoirs permanents s’emboîtent parfaitement dans l’espace qui leur est dédié.

La belle île de Pâques, peut être y trouverons nous des oeufs ?

Enfin passons aux illustrations du talentueux Miguel Coïmbra qui a déjà œuvré sur plusieurs jeux de l’éditeur. Son approche de l’île de Pâques sur un gigantesque plateau est superbement réalisée et immersive, à tel point que les éléments graphiques liés au jeu ne prennent pas le pas sur l’illustration générale.

En Conclusion :

Rapa Nui est une version clairement revisitée de son prédécesseur. Embellie d’un matériel que l’on pourrait presque qualifier de Deluxe, l’idée d’en avoir fait un jeu de placement d’ouvriers me semble bonne, mais elle aurait pu / dû aller plus loin selon moi.

Le jeu est clairement destiné à un public familial, mais avec une certaine expérience des jeux modernes. Pour les joueurs « experts », je crains que les atouts artistiques et matériels ne suffisent à étancher leur soif d’interaction et de profondeur de jeu.

N’allez cependant pas croire que Rapa Nui soit un jeu simple, loin de là. Il exige une concentration assidue pendant la phase de planification, ce qui en fait un jeu demandeur.

Pour ma part, hélas, même si je suis friand des jeux à forte mobilisation d’attention, je trouve qu’il aurait gagné à être enrichi de nouveaux degrés d’interaction et de gestion. Bien que l’impact des choix des joueurs soit très important sur les stratégies individuelles, la relation à l’autre s’appuie majoritairement (pour ne pas dire quasi-exclusivement) sur la répartition des ouvriers sur les cases terrain de l’île. Lorsque l’on construit un Moaï, le besoin d’aller d’un point A vers un point B nécessite que la route existe, après il n’est question que de choisir à quel ouvrier présent, lorsque plusieurs sont disponibles, on va faire gagner des ressources.

Une amélioration du jeu (un Game Up) est prévue pour septembre 2021, si la pandémie ne chamboule pas de nouveau sa production. Il proposera 2 ajouts plus ou moins notables : 1 Moaï d’obsidienne demandant 3 ouvriers ainsi que le chef pour le construire, il rapporte 7 ressources à son détenteur. En second lieu une modification des règles de base permettant désormais à plusieurs transporteurs de couleur différente de se trouver sur la même case, donnant l’opportunité au joueur déplaçant une statue ou un Pukao de choisir l’adversaire qui obtient des ressources, et de nouvelles tuiles bonus orientées sur la discorde, le combat et l’opposition entre les joueurs. Peu de nouveautés donc, mais une belle tentative d’apporter un petit plus qui manque, selon moi, au jeu en l’état. Je doute que cela ne transforme radicalement l’expérience du jeu, mais quoi qu’il en soit cela ne pourra que l’enrichir positivement.

Si cet avis a piqué votre curiosité, sachez que le jeu sera disponible juste avant pâques, le 1er ou le 2 avril ! Avec un peu de chance y trouverez-vous également un œuf en chocolat bien caché au milieu des offrandes ?

Retrouvez ce jeu sur Philibert